Un luxueux bracelet en ivoire

Un œil dans les réserves VII

Comme un périscope inversé qui plongerait dans les tréfonds de l’iceberg muséal, la rubrique «Un œil dans les réserves» propose de dévoiler régulièrement quelques petits trésors du patrimoine genevois. Certains objets restent en effet dans l’ombre des chefs-d’œuvre exposés en salle, car soustraits au regard du public ‒ bien qu’ils donnent corps à une collection d’étude, cœur du grand conservatoire que sont les réserves du Musée d’art et d’histoire. Afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, ils sont ici mis en lumière par un détail ou une anecdote et démontrent qu’un objet, même très simple, a une histoire à raconter et peut émerveiller.

Un œil dans les réserves VII

Comme un périscope inversé qui plongerait dans les tréfonds de l’iceberg muséal, la rubrique «Un œil dans les réserves» propose de dévoiler régulièrement quelques petits trésors du patrimoine genevois. Certains objets restent en effet dans l’ombre des chefs-d’œuvre exposés en salle, car soustraits au regard du public ‒ bien qu’ils donnent corps à une collection d’étude, cœur du grand conservatoire que sont les réserves du Musée d’art et d’histoire. Afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, ils sont ici mis en lumière par un détail ou une anecdote et démontrent qu’un objet, même très simple, a une histoire à raconter et peut émerveiller.

Cette rubrique est également l’occasion de solliciter vos connaissances d’amateurs éclairés, car de nombreuses questions restent en suspens: un sujet à identifier, une technique à redécouvrir ou un usage à préciser.

Bulles d’ivoire en haut-relief

Bracelet. Exécuté aux Indes par des ouvriers chinois de l’école cantonaise, XIXe siècle. Or jaune, ivoire sculpté. Insculpé au revers du fermoir, un cartouche contenant l’inscription «marque du bonheur» (xiji, en pinyin) 8,5, l. 2,35, Ép. 0,8 cm. Acquis au Comptoir japonais, Genève, vers 1900 ©MAH, inv. M 537

Depuis son acquisition vers 1900 par le MAH, ce bracelet n’a été que très rarement exposé et seulement dans le premier quart du XXsiècle. Cela fait donc près d’un siècle qu’il n’a pas été vu et s’il ressort en ce mois d’avril 2020 ce n’est peut-être pas un hasard…

Il s’agit d’un bracelet datant du XIXsiècle (probablement après 1850), réalisé «aux Indes par des ouvriers chinois» comme précisé dans le registre d’entrée. Exécuté sur le modèle des œuvres d’ivoire de l’école de Canton, il comporte six médaillons sculptés en haut-relief que sous-tend une monture en or jaune filigrané.

Nul besoin ici de prose excédentaire pour admirer la délicatesse et l’extrême minutie grâce auxquelles ce bracelet a vu le jour. Avec les images qui suivent, plongez dans les détails de ces saynètes, admirez la finesse des contours, l’élégance raffinée des quarante-quatre personnages serrés par petits groupes dans chaque médaillon et la richesse du décor de métal précieux les séparant, figurant des dragons de légende.

 

Bracelet (détails des 6 médaillons, qui mesurent 20 millimètres de hauteur chacun). ©MAH, inv. M 537

Les six scènes sont ci-dessus figurées en plan pour une première lecture focalisée sur leur globalité. Mais afin de percevoir l’extrême relief des sujets, une observation «mobile» est nécessaire: pour plus de détails sur les personnages, une vue en contre-plongée est préférable; les détails des pagodes sont mieux avantagés par une vision latérale; etc.

Les minuscules personnages ‒ hauts de 2 à 4 millimètres selon la profondeur donnée au champ ‒ sont travaillés dans leurs moindres détails, du plissé mouvant des étoffes aux attitudes expressives des corps, en passant par des visages souriants et bienveillants qu’animent tous les éléments requis, jusqu’aux sourcils, encadrés par des barbes en collier ou des coiffures traditionnelles…

La plupart des têtes mesure à peine 1 millimètre de hauteur.

Nous ignorons dans quelles circonstances étaient portés ou offerts ce type de bijoux, mais leur caractère typique permet de penser qu’il s’agissait avant tout d’une performance artisanale qui mettait en valeur un savoir-faire, et de ce fait promouvait l’élévation de toute une culture. Nous avons connaissance de bracelets similaires qui tendent à prouver que ce modèle fut beaucoup produit: il comporte invariablement ce même chapelet de six scènes, annonciateur, selon la tradition, que la Chine donne à ce chiffre, de calme et de prospérité, de chance, la promesse d’un long fleuve tranquille. Quant à la dominante blanche, due à l’emploi de l’ivoire, elle n’évoque pas la pureté, la virginité et la paix, comme en Occident, mais a contrario la mort et le deuil dans l’Empire du Soleil levant. Les petites scènes demeurent pourtant joyeuses, chacune représentant un groupe de cinq ou six personnages principaux réunis devant une maison, soit attablés, soit conversant ou partageant des activités diverses, toutes les faces étant fendues d’un large sourire.

Le même personnage vu sous deux angles différents (figure principale du 1er médaillon).

C’est avec intérêt que nous recevrons les indications que vous pourriez détenir au sujet du commerce de ce genre de pièces, tout comme d’autres références d’œuvres similaires si vous en possédez.

Chacun chez soi, mais côte à côte

À l’origine, ce texte devait être centré sur la performance de la sculpture en miniature et aurait pu paraître en juin ou en septembre.

Notre regard sur le monde, modifié par la période que nous traversons, est désormais influencé et prompt à établir des parallèles improbables. C’est ainsi que l’on pourrait voir dans ce bracelet une métaphore de ce que sont nos vies actuellement…

Un chapelet de six petits mondes dans lesquels sont confinés de petits groupes de personnages, figés devant leur maison, dans leur cage d’ivoire. Ils semblent attendre quelque chose, sous le voile immaculé du deuil… Le temps semble arrêté. Chaque groupe est bien séparé du suivant, charge de surveillance aux dragons intercalaires, mais ils sont côte à côte cependant… ils sont tous semblables, unis. Quant à leurs sourires bienveillants, ils sont de bon augure…

Alors… faut-il croire au hasard ou au regard?

 

Nous remercions Estelle Niklès van Osselt et Paul Wang pour leur contribution.

 

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