Un arbre dans la ville

Photographies de Jean-Marc Meunier à la Maison Tavel

Dans sa série Shopping Streets, le photographe Jean-Marc Meunier (1958-2020) s’intéresse aux rues marchandes uniformisées des villes européennes, traversées par une foule anonyme. La nature semble avoir déserté ces centres bétonnés, saturés d’enseignes publicitaires. Il suffit pourtant de parcourir les 150 clichés réunis par Eveline Notter dans l’exposition La Ville devant soi, visibles à la Maison Tavel jusqu’au 9 janvier 2022, pour remarquer que l’artiste valaisan tente tout autant de saisir l’urbanisation croissante que les vestiges de la nature, ces «ruines romaines» comme il les appelle. Dans plusieurs séries emblématiques, son regard se porte sur des arbres dénudés ou, au contraire, parés pour les fêtes de fin d’année. Ils deviennent alors le sujet principal et la ville, la toile de fond.

Photographies de Jean-Marc Meunier à la Maison Tavel

Dans sa série Shopping Streets, le photographe Jean-Marc Meunier (1958-2020) s’intéresse aux rues marchandes uniformisées des villes européennes, traversées par une foule anonyme. La nature semble avoir déserté ces centres bétonnés, saturés d’enseignes publicitaires. Il suffit pourtant de parcourir les 150 clichés réunis par Eveline Notter dans l’exposition La Ville devant soi, visibles à la Maison Tavel jusqu’au 9 janvier 2022, pour remarquer que l’artiste valaisan tente tout autant de saisir l’urbanisation croissante que les vestiges de la nature, ces «ruines romaines» comme il les appelle. Dans plusieurs séries emblématiques, son regard se porte sur des arbres dénudés ou, au contraire, parés pour les fêtes de fin d’année. Ils deviennent alors le sujet principal et la ville, la toile de fond.

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Les Arbres dans la ville II, 1993
Tirage argentique noir/blanc sur papier baryté, 30,4 x 23,7 cm.
© Documentation photographique de la Ville de Genève, inv. FPP 1992

Joyeux Noël !

Installé à Genève en 1977, Jean-Marc Meunier y réalise à la fin des années 1980 une série en noir et blanc ayant pour thème le sapin de Noël. Qu’il soit immense et planté au milieu d’un chantier, minuscule et posé sur des boîtes aux lettres, ou encore misérable et abandonné près d’un immeuble après les festivités, le roi des forêts est immortalisé dans des contextes surprenants. Il s’expose, paré pour la fête, mais dépourvu de présence humaine: les réjouissances semblent se faire attendre ou être déjà passées. Dans tous les cas, le conifère décoré permet au photographe de capturer des lieux insolites auxquels il n’aurait sans doute pas prêté attention.

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Sapins de Noël, 1988-1989
Tirage argentique noir/blanc sur papier baryté, 30 x 40 cm.
© Bibliothèque de Genève, inv. meun 04 29 01 p 01

Trente ans plus tard, dans une série intitulée Les Encombrants, un sapin de Noël réapparaît comme un clin d’œil à son travail antérieur. Abandonné sur un trottoir, entouré de rebuts déposés en face de l’appartement que Jean-Marc Meunier occupe à la Servette, le sapin desséché, photographié cette fois-ci en couleur, renvoie à un quotidien urbain désenchanté. La fête est finie.

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Les Encombrants, 2007-2015
Image numérique © Archives Jean-Marc Meunier

Entre béton et bitume

Au début des années 1990, Jean-Marc Meunier poursuit son travail sur les arbres, mais cette fois-ci sans atours. Un dimanche d’été, le photographe se promène dans le quartier des Acacias lorsqu’il est frappé par la «présence incroyablement imposante» des arbres au cœur des rues dépeuplées. Une double série intitulée Les Arbres dans la ville voit ainsi le jour en 1992 et 1993. Non sans évoquer l’air célèbre de Maxime Le Forestier, Comme un arbre dans la ville, cette série fait des végétaux enserrés «entre béton et bitume» l’élément essentiel de ces images, structurées par les lignes horizontales et verticales des bâtiments et des troncs. Ces derniers sont souvent coupés par le cadrage ou dissimulés derrière des murs qui, à leur tour, occultent le paysage.

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Les Arbres dans la ville I, 1992
Tirage argentique noir/blanc sur papier baryté, 30,4 x 23,7 cm.
© Documentation photographique de la Ville de Genève, inv. FPP 1992

I’m a Survivor

À travers l’objectif de Jean-Marc Meunier, l’arbre se profile tel un survivant, perdu au milieu d’un environnement urbain envahissant qui ne lui accorde qu’une portion de terre restreinte. L’aménagement répond plus que jamais aux usages prioritaires de l’activité humaine. L’arbre devient le spectateur résigné de l’emprise de l’homme sur le territoire et son misérabilisme apparaît comme la résultante d’une nature domestiquée, voire disparue. À maintes reprises en effet, Jean-Marc Meunier photographie les arbres parfois centenaires avant leur abattage. La série Les Genêts, par exemple, documente la disparition d’une zone rurale au profit d’un collectif d’habitations. La série Autoroute, quant à elle, retrace le nivellement induit par le contournement autoroutier de Genève.

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Autoroute, 1989
Tirage argentique noir/blanc sur papier baryté, 18 x 24 cm.
©Bibliothèque de Genève, inv. meun 04 03 01 p 01

En attendant des jours meilleurs

La sauvegarde et la préservation des arbres en ville constituent aujourd’hui plus que jamais une préoccupation majeure. À la lumière de cet enjeu, le travail de Jean-Marc Meunier peut être interprété comme un témoignage récent du mauvais traitement infligé à la nature. Sur ses clichés, les arbres s’apparentent le plus souvent à des êtres vivants vulnérables, menacés par la réverbération des façades, l’imperméabilisation des sols, la diminution de l’espace vital, aussi bien hors sol qu’en souterrain, encombré par les canalisations, parkings et réseaux infinis d’infrastructures. Plusieurs photographies prises en hiver montrent des arbres élagués à l’image du décor sommaire réalisé par Alberto Giacometti pour la représentation d’En attendant Godot. En 1961, au théâtre de l’Odéon à Paris, la scénographie de la pièce de Samuel Beckett est réduite à un seul et minuscule arbre en plâtre blanc: son tronc filiforme, muni de quelques branches, est à la fois drôle, tragique et absurde. Alors qu’ils préfèrent pousser en bosquet, Jean-Marc Meunier met lui aussi en scène des arbres solitaires affichant une silhouette malingre et fantomatique comme l’arbuste de Giacometti. Dans sa démarche artistique, le Valaisan documente et questionne à sa manière un patrimoine naturel fragile, mais parfaitement digne d’être la vedette de séries déconcertantes et émouvantes. Gageons qu’à l’avenir le décor arboré de nos villes sera plus luxuriant!

Jean-Marc Meunier, Sans titre, série Les Arbres dans la ville II, 1993
Tirage argentique noir/blanc sur papier baryté, 30,4 x 23,7 cm.
© Documentation photographique de la Ville de Genève, inv. FPP 1993

 

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