S’habiller de dentelles. Un rêve récurrent dans cette spirale que décrit la mode au cours des siècles ; un rêve aujourd’hui résolument féminin. Jadis, le gentilhomme en est le promoteur en parant de ce luxe son col et ses poignets, qu’il soit à la cour ou sur le champ de bataille. Les gens d’Église en font un usage ostentatoire pour le culte, sur les aubes et surplis comme dans le linge cultuel. Chacun, à sa manière et selon ses moyens, en enrichit sa mise ou celle de ses enfants. Il est difficile de nos jours de comprendre l’impact social de la dentelle autrefois. N’oublions pas que cette dernière, jusqu’à l’apparition de sa mécanisation au XIXe siècle, reste un produit entièrement manufacturé d’un prix tel que les États cherchent à lutter contre son importation. Ce sera là l’occasion d’effectuer de l’espionnage industriel, de soudoyer des employés et leur accorder des privilèges afin d’implanter des centres capables de rivaliser avec les plus belles productions étrangères. Une véritable guerre commerciale qui met à mal les relations entre l’Angleterre, la France, l’Italie et les Pays-Bas dès le XVIe siècle !
Domaine à part du textile, la dentelle se fabrique selon deux technologies principales. Les toiles de lin deviendront le départ de la dentelle à l’aiguille pour laquelle, au commencement, on retire des fils de manière à créer des jours, on forme des découpes, pour enfin s’émanciper du réseau procuré par l’étoffe et tendre des fils en suivant un motif défini. À chaque fois, la circulation de plus en plus complexe d’un fil passé à l’aiguille groupe les fils libres du tissu, borde et maintient le bord des découpures puis donnera vie et corps au dessin. Lorsque cet art uniquement dû à l’aiguille (d’où son nom de « point ») arrive à son apogée, la dentelle prend du relief, le fil s’affine et le temps d’exécution s’allonge jusqu’à faire de ces productions une source de convoitise qui dilapide des fortunes. Les pièces de belle largeur restent exceptionnelles et réservées aux plus grands. Avec les fuseaux, autre méthode, on constitue un réseau par le croisement de fils sans limitation de direction. Le travail peut sembler plus rapide et plus simple, mais il faut posséder un parfait savoir-faire pour réaliser les motifs les plus fins, les raccorder de façon invisible, et transcrire l’ornementation avec légèreté comme pour les réalisations de Chantilly. Ces dernières sont sans conteste celles qui ont affirmé la dentelle dans la garde robe de la femme, non plus comme un accessoire, mais comme élément constitutif. C’est également avec elle que débute une mécanisation du procédé aboutissant à la mise au point d’imitations convaincantes et une démocratisation. L’univers féminin de la dentelle est bâti principalement sur l’esthétique de la Chantilly partagé aujourd’hui entre le bon goût et son opposé ainsi que l’illustre l’offre de l’industrie de la lingerie…

L’exemple du MAH
Résolument de bon ton et du meilleur effet, la spectaculaire jupe en point d’application conservée par le MAH témoigne de cette tentation née au XIXe siècle de couvrir la femme de dentelle, sans restriction, en déployant le matériau avec l’aisance du tissu dont on déroule les lés. Le luxe réside bien là, facilement décelée par l’œil aiguisé. Originalement posée sur une étoffe dont la couleur faisait ressortir le décor par contraste, cette garniture de jupe ornait une tenue du soir réalisée vraisemblablement vers 1890. Sur un tulle, les motifs au fuseau sont appliqués à la main et complétés de parties de dentelle à l’aiguille. La maîtrise s’exprime également dans la composition élaborée du dessin. Avec ce très bel exemple, l’opportunité est donnée de rappeler que le Musée d’art et d’histoire possède une importante collection de dentelles…. et que l’intérêt pour cet art est toujours présent comme l’a récemment révélé le choix de la Duchesse de Cambridge pour sa robe de mariée.
Ce texte a été publié dans la Tribune des Arts, septembre 2012