En 1938, le Musée d’art et d’histoire acquérait près d’un millier de documents cunéiformes collectés par l’assyriologue genevois Alfred Boissier (1867-1945), éminent spécialiste de la divination et de la mantique proche-orientale anciennes auxquelles il consacra trois importants ouvrages. Cet ensemble varié (des tablettes pour l’essentiel), tant par ses contenus que ses provenances ou sa situation chronologique, fut classé, étudié et catalogué par Edmond Sollberger (1920 -1989), directeur ad interim du MAH dès 1959 – avant de poursuivre une brillante carrière au British Museum à partir de 1961. Parallèlement, quelques monographies sur des thèmes particuliers virent le jour – telles les contributions d’Émile Szlechter (1904-1995) réunissant les textes de portée juridique –, mais elles n’ont fait qu’effleurer la richesse de la collection. L’inventaire, progressivement mis à jour par les différents conservateurs en charge des collections archéologiques, fut intégré dans la base de données informatisée de l’institution. Aujourd’hui encore, les étudiants de l’unité d’assyriologie de l’Université de Genève en poursuivent l’étude sous la direction attentive du professeur Antoine Cavigneaux.
On estime à près de 500’000 le nombre de tablettes conservées dans le monde. Une telle masse documentaire, nécessaire pour écrire l’histoire des civilisations proche-orientales anciennes, pose implicitement la question de la gestion de cette information et de sa diversité. Empoignant le taureau par les cornes, quelques collègues de l’Université de Los Angeles et de l’Institut Max Planck pour l’histoire des sciences, principalement les professeurs Robert K. Englund (Los Angeles) et Jürgen Renn (Berlin), ont créé la Cuneiform Digital Library Initiative. Cette base de données, librement accessible sur internet, contient déjà 270’000 documents conservés dans les plus grands musées d’Europe et des États-Unis. Chaque fiche propose une photographie (en basse et haute définition) de toutes les faces de chaque tablette, la translitération des textes, parfois leur traduction, ainsi qu’une abondance de renseignements parmi lesquels on citera les données muséographiques (collection, inventaire), la provenance, la datation, le genre du document, la bibliographie, etc. L’interrogation peut bien sûr porter sur chaque information.

La collection genevoise est, depuis quelques mois, incorporée à ce grand projet. Les tablettes ont été scannées par un collègue venu de Berlin, entraînant le déplacement momentané des documents de nos réserves à nos bureaux, et, mettant à profit les travaux des collaborateurs du service de l’Inventaire du musée, incorporées dans la base de données. Voilà donc près de mille documents intégrés à un immense et efficace corpus mondial, à moindre coût. En effet, comment un musée pourrait-il s’offrir le luxe de publier un catalogue de plusieurs milliers de pages, et comment les chercheurs pourraient-il facilement acquérir tous ces ouvrages et surtout disposer d’assez d’espace pour les entreposer?
L’assyriologie est généralement considérée comme une «petite discipline», offrant peu de débouchés et ne regroupant qu’un petit nombre de spécialistes. En collaborant et en associant les compétences scientifiques de tous les chercheurs de par le monde, elle montre toutefois qu’elle est capable de développer de très grands et très beaux projets, accessibles à tous, et d’une très grande fiabilité académique.
Texte paru dans la revue Genava n° 60, 2012, © MAH