Les têtes d’argile de Marisa Merz

Des quasi-portraits à voir au Musée Rath

Actuellement au Musée Rath, l’exposition Marisa & Mario Merz (2 juin-25 septembre 2022) réunit des œuvres majeures du couple emblématique de l’Arte Povera, parmi lesquelles des petites têtes créées à partir d’argile.

Des quasi-portraits à voir au Musée Rath

Actuellement au Musée Rath, l’exposition Marisa & Mario Merz (2 juin-25 septembre 2022) réunit des œuvres majeures du couple emblématique de l’Arte Povera, parmi lesquelles des petites têtes créées à partir d’argile.

Les petites têtes ou testine de Marisa Merz

«Oh! Junk. Des choses qui n’ont rien à dire. Mais je m’y accroche, parce que de temps en temps… voilà ! On les voit, elles deviennent visibles, elles parlent, je les vois. […] En fonction de la lumière et des ombres dans la pièce, elles peuvent émerger et devenir visibles.» (Conversation entre Marisa Merz et Hans Ulrich Obrist, 2009).[1]

Marisa Merz, Sans titre, non daté.
Argile cru, feuille d’or, peinture, plomb, fil de cuivre, paraffine; socle en bois
© Collezione Merz, photo: F. Bevilacqua

En 1982, Marisa Merz (1926-2019) commence à travailler l’argile molle, à laquelle elle ajoute du plâtre, du bois et de la cire. Ces œuvres sont connues sous le nom de Têtes ou Testine («petites têtes» en italien). Grossièrement modelé, le matériau appauvri est transformé par l’artiste en figures primaires qui peuvent facilement tenir dans la paume de la main. La simplicité des traits, comme saisis avant leur figuration (lignes droites, points, courbes douces), génère des têtes qui prennent forme sous nos yeux.

La qualité brute de l’argile est souvent associée à la luminosité précieuse de la feuille d’or ou du fil de cuivre. Dans d’autres cas, la douceur initiale du matériau contraste avec la rigidité des plaques de marbre, par exemple. En quelques occasions, une blancheur immaculée émerge en un instant poétique de la surface. À la manière de formes organiques, les têtes reflètent un univers personnel et intime qui se situe entre abstraction et figuration.

Des œuvres à la fois matérielle et immatérielle

Chacune des têtes de Marisa suggèrent quelque chose de précieux et de secret, caché dans leurs formes. Et pour préserver ce secret, les têtes semblent jouer à cache-cache avec les spectateurs. Nous perdons rapidement la trace de ce que nous regardons dans la nature fugace de ces reliefs subtils. Les formes émergent de la matière, mais semblent aussi se fondre dans la matière. L’œuvre de l’artiste est donc à la fois matérielle et immatérielle, saisissable à travers les murmures discrets que les têtes dégagent lorsqu’elles sont exposées.

Réutilisable à l’infini, le fragment (entendu comme l’œuvre individuelle) renforce l’idée que l’ensemble du travail de Marisa est polymorphe, c’est-à-dire qu’il prend plusieurs formes différentes. Ainsi, Merz a dissout la sculpture dans la peinture, la peinture dans le dessin et le dessin dans la sculpture, faisant finalement des têtes d’argile les frères et les sœurs sculpturaux d’autres œuvres. Bien que les pièces de l’artiste soient essentiellement sans titre et sans date, l’ensemble de sa pratique prend une forme plus tangible lors de présentations comme celle du Musée Rath. Elles n’occupent pas une place stable dans le temps, mais établissent leur propre chronologie.

Marisa et Mario Merz, Sans titre, 2002.
Structure métallique, verre, argile crue, bronze, aluminium, paraffine, pigments 750 x 780 x 100 cm
© Collezione Merz, photo: F. Bevilacqua

Comme l’illustre bien l’exposition Marisa & Mario Merz, le dialogue avec Mario (1925-2003) – son époux mais aussi un artiste actif au sein du groupe Arte Povera- est omniprésent. Des figures de Marisa, il dira qu’elles «sont presque des portraits» («sono quasi ritratti»)[2], une recherche quasi obsessionnelle de visages, dont la physionomie inconnue et souvent transfigurée devient aussi universelle que réelle. Enfin, par des procédés qui remettent en cause la tradition de la sculpture et surtout du portrait, les petites têtes de Marisa, qui oscillent entre leur condition d’objet et de tête, de matière et d’argile, ont le temps devant elles pour pouvoir «émerger et devenir visibles».

 

Laura K. Inserra est une historienne de l’art qui a fait des recherches sur l’œuvre sculpturale de Marisa Merz et sur l’art italien d’après-guerre depuis ses études. Basée à Winterthur, en Suisse, elle travaille en freelance sur divers projets liés à l’art, parallèlement à sa collaboration avec une fondation suisse.
[1] «When We Say ‘Beautiful’ We Are Alive: Marisa Merz», Hans Ulrich Obrist en conversation avec Marisa Merz. 1er septembre 2009, Turin, Italie. Mousse Magazine, septembre-octobre 2009 http://moussemagazine.it/marisa-merz-hans-ulrich-obrist-2009/.
[2] Mario Merz in Marisa Merz, ed. Dieter Schwarz. Düsseldorf: Richter, 1995.

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