Un exercice de style par Joseph Vernet
Présentée jusqu’au 2 octobre dans les cabinets consacrés aux arts graphiques au MAH, l’exposition La course du temps s’intéresse, entre autres, à l’évolution de la représentation des Quatre parties du jour dans la gravure européenne du XVIe au XVIIIe siècle. Une série intéressante de Joseph Vernet (1714-1789) sur cette thématique manque malheureusement à l’ensemble d’œuvres sélectionnées. Et pour cause, son format et son montage empêchent de la présenter dans de bonnes conditions.

Joseph Vernet, paysagiste héritier de Claude Lorrain
Ces quatre estampes appartiennent en effet à un album intitulé Œuvres de Joseph Vernet, Peintre du Roy. Et de son Académie Royale de Peinture et Sculpture, Représentant divers Ports de Mer de France de d’Italie. Gravés par Cochin, Le Bas, Aliamet, & autres célèbres Graveurs François. Cet ouvrage a été déposé dans la collection du MAH par la Société des arts de Genève en 1991.
On retrouve sur la couverture de cet album relié en maroquin rouge, doré au fer, les armoiries d’Étienne-François de Choiseul-Beaupré-Stainville, (1719-1785), duc de Choiseul, ministre de Louis XV. Il est secrétaire d’État à la Marine de 1761 à 1766, au moment où Joseph Vernet achève la commande passée par le roi de 27 tableaux représentant «les plus beaux ports du royaume». Le peintre n’en réalisera que 15 entre 1754 et 1765. Cette célèbre série des Vues des ports de France est traduite en gravure: on retrouve ces tirages dans l’album de la Société des arts ainsi que d’autres paysages, en particulier des marines, l’une des spécialités du peintre.

Parmi celles-ci figure la série des Quatre parties du jour, dont le sujet iconographique est très fréquent dans l’art européen du XVIe au XIXe siècle. Si le matin et le midi sont toujours présents, l’après-midi, le soir et la nuit sont combinés différemment selon les séries. Les sujets varient, mais Joseph Vernet, qui décline plusieurs fois ce cycle en peinture, est le premier à imposer les scènes de naufrage pour illustrer la nuit, de même qu’il choisit souvent la tempête pour le midi. Les phénomènes naturels (tempêtes, naufrages, coucher de soleil sur la mer…) sont un prétexte pour Vernet de mettre en avant ses qualités de peintre de marine et de paysage, en digne héritier de Claude Gellée, dit Le Lorrain (1600-1682) auquel il est souvent comparé. Ils illustrent également son talent à traduire par le pinceau la lumière du jour dans ses différents effets.
Ce traitement des variations de la lumière est l’une des raisons d’être de ces séries pour les peintres, ainsi que le théorise le peintre de paysage Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819): «Quoique la Nature soit toujours belle, sous plusieurs rapports, dans tous les instants du jour, les Artistes ont généralement observé qu’en le divisant en quatre parties, on trouvait dans chacune d’elles et à l’instant déterminé pour chaque division, des contrastes plus décidés, des oppositions plus prononcées et des effets plus distincts. On a reconnu qu’en faisant quatre tableaux de ces instants de la journée et en les réunissant ensuite dans un même local, on en obtenait beaucoup plus d’effet que s’ils eussent été séparés; que la fraîcheur du matin était mieux sentie à côté du brûlant horizon du soir, et qu’on appréciait mieux le calme de la nuit et la lumière argentine et douce de la lune, en les mettant en opposition avec la lourde atmosphère et les rayons éblouissants du soleil à l’heure de midi.» (Éléments de perspective pratique, à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture, et particulièrement sur le genre du paysage, Paris, 1799, p.427).

Les Quatre parties du jour par Joseph Vernet
Vernet reçoit de nombreuses commandes pour décliner en peinture ses Quatre parties du jour: pour le chevalier Joseph Henry (1727-1796), voyageur irlandais du Grand Tour, en 1752; pour un autre Irlandais Milord Charlemont (1728-1799) en 17541; pour la bibliothèque du dauphin Louis de France (1729-1765) à Versailles en 1762-1763 (aujourd’hui au Louvre, inv. 8312); pour celle du roi au château de Choisy en 1765; pour la salle de billard du marquis de Laborde (1724-1794), riche financier, en 1766-1767; pour la comtesse du Barry en 1773 pour son pavillon de Louveciennes (dont trois sont au Louvre, inv. 8329, inv. 8330, inv. 8334), etc.

Les gravures de l’album reprennent les quatre peintures commandées par le roi et montrées au Salon de 1765 sous le n° 67, aujourd’hui conservées par le Musée du Louvre et exposées au Palais de l’Élysée (inv. 8317, 8318, 8319, 8320). Le Matin montre une scène de pêche, où la berge est animée de personnage tandis qu’à l’arrière-plan un pont à l’accès fortifié enjambe la rivière et mène à une ville sur une colline. Le Midi, sous un ciel d’orage zébré d’éclairs, représente des lavandières s’activant près d’un moulin. Le Soir, dans une atmosphère paisible, met en scène au premier plan un pêcheur à la ligne et un couple rentrant sans doute du marché, dans un paysage escarpé où l’eau d’une rivière s’écoule en cascades. Enfin, dans La Nuit, un trois-mâts à l’ancre se détache sur fond de clair de lune tandis que, sur la rive, un groupe s’active autour d’un feu de camp.
Dès le mois d’octobre 1765, une souscription est lancée pour la publication des gravures, qui paraît dans L’Avant-Coureur du 7 octobre, puis dans Le Mercure de France de décembre. Jean-Michel Moreau le Jeune (1741-1814) grave à l’eau-forte la composition que Louis Jacques Cathelin (1739-1804) achève au burin. L’ensemble est terminé à la fin de l’année 1767 comme l’annonce L’Avant-Coureur du 14 décembre: «le S.r Cathelin… a achevé la gravure des quatre tableaux de M. Vernet représentant « les quatre parties du Jour ». Il avait promis de livrer ses estampes aux amateurs dans deux ans, à compter depuis l’ouverture de la souscription faite au mois d’octobre 1765. Il donne avis aux souscripteurs qu’il commencera à les distribuer le 20 décembre…»2. Ces Quatre parties du jour gravées sont dédiées au marquis de Marigny, protecteur et mécène de Joseph Vernet, et dispensateur des commandes royales en sa qualité de directeur général des Bâtiments de France, un homme à courtiser donc lorsqu’on est un artiste.