Un récipient en forme de pied
Le Musée d’art et d’histoire a eu l’immense privilège de recevoir en donation, au début des années 2000, la collection des antiquités byzantines de Janet Zakos. Exposée dans une salle du rez-de-chaussée du musée qui lui est consacrée, cette collection fait aujourd’hui l’objet d’une publication dans laquelle sont étudiées et présentées ses merveilles, dont ce récipient en forme de pied.
Le récipient en bronze coulé adopte la forme d’un pied droit chaussé d’une sandale maintenue par des brides. Le pied monte à la hauteur de la cheville que soulignent trois cercles concentriques. Un rebord crénelé cerne l’embouchure. À l’origine, l’objet était probablement muni d’un couvercle aujourd’hui perdu. Des monnaies d’or se trouvaient à l’intérieur du récipient au moment de la trouvaille. (…)

Bronze, © MAH Genève, photo: Flora Bevilacqua, inv. A 2004-203
L’anatomie du pied est bien rendue. Les ongles et les articulations des orteils se démarquent en relief sur la surface luisante du métal malgré son usure partielle. Deux oreillettes fixées de chaque côté de la cheville assurent la fixation d’un système de bride qui enserre le cou-de-pied et la cheville, tandis qu’une autre enserrant le gros orteil vient se fixer à l’avant du pied. Les brides sont en relief et leur surface est animée par un décor de zigzags.
Le récipient reproduit un type bien défini de lampe en bronze habituellement daté des IIe et IVe siècles, dont la production semble avoir été maintenue jusqu’au VIe siècle. Sur ces lampes, le gros orteil s’appuie sur un bec tubulaire qui donne naissance à un trou de mèche, tandis que l’ouverture ménagée au niveau de la cheville sert de trou d’alimentation. Elles sont munies d’un couvercle à charnières qui adopte souvent la forme anthropomorphique ou celle d’un dôme. Un exemplaire daté du Ve ou VIe siècle conservé à Toronto, par exemple, se distingue des prototypes antérieurs par la bordure ondulée du trou de mèche et les croix gravées sur le couvercle sommé d’un petit oiseau en guise de poignée.
Un porte-bonheur?
La tradition de la lampe plastique en forme de pied est généralement associée au culte de Sérapis, dieu guérisseur populaire de l’Antiquité tardive. Des ex-voto sculptés du pied de Sérapis étaient offerts dans ses sanctuaires et les objets et images reproduisant la forme du pied droit de Sérapis ou son empreinte étaient investis d’une valeur apotropaïque. Les foyers chrétiens les utilisaient en guise de porte-bonheur. Mais les lampes en forme de pied droit chaussé d’une sandale pourraient aussi avoir été chargées d’un symbole chrétien associé au psaume 119 (118):105: «Ta parole est un flambeau devant mes pas, une lumière sur mon sentier.»
L’absence de trou de mèche exclut l’identification de ce récipient à une lampe. Une production d’aryballes en terre cuite de la Grèce archaïque, qui adopte la forme caractéristique de pied droit chaussé d’une sandale retenue par des brides, permet de suggérer une fonction similaire pour notre récipient. On peut supposer qu’il servait de contenant à des huiles parfumées, onguents ou cosmétiques. Le recours à une forme investie d’une forte valeur apotropaïque pour servir de contenant à une substance utilisée pour les soins du corps n’est point surprenant. C’est le cas par exemple d’un récipient en bronze du IVe ou Ve siècle, conservé au Musée du Louvre, qui adopte la forme d’un cheval, autre motif apotropaïque populaire dans l’Antiquité tardive. À la même époque, la fréquence de vœux de santé sur les marqueurs de bronze en forme de sandale vient conforter l’identification de ce récipient pour un usage lié aux soins du corps.
Brigitte Pitarakis
Extrait du catalogue raisonné Donation Janet Zakos. De Rome à Byzance, Collections byzantines du MAH Genève, n°3, sous la direction de Marielle Martiniani-Reber, co-édition avec les 5 Continents