L’École buissonnière avec Jean Mohr

Entretien avec le photographe genevois actuellement à l’honneur à la Maison Tavel

L’histoire qui lie Jean Mohr avec le Musée d’art et d’histoire remonte à plusieurs décennies. Après une première exposition en 1961 au MAH, une présentation en duo avec son compère Nicolas Bouvier au Cabinet d’arts graphiques en 1968, et l’ensemble de photographies couleurs réunies pour L’Autre mémoire en 1985 au Musée Rath, Jean Mohr. Une école buissonnière. Photographies à la Maison Tavel est la quatrième exposition de l’artiste genevois aux MAH et sans doute la plus personnelle. S’il a sillonné la planète pour le compte d’organisations humanitaires internationales et servi la cause des droits de l’homme en exposant ses clichés dans le monde entier, sa silhouette est également connue des visiteurs du MAH, où l’on a pu le croiser caméra au poing lors de vernissages, saisissant des visages célèbres et des moments clés de la vie du musée. Aujourd’hui âgé de 92 ans, Jean Mohr revient sur cette nouvelle exposition dont il a conçu le parcours en treize chapitres (Nous, les hommes; Être vieux, à quel âge?; Être paysan aujourd’hui; La femme omniprésente; Les parfums de la fête…), commentant chaque œuvre de ses réflexions et souvenirs.

Entretien avec le photographe genevois actuellement à l’honneur à la Maison Tavel

L’histoire qui lie Jean Mohr avec le Musée d’art et d’histoire remonte à plusieurs décennies. Après une première exposition en 1961 au MAH, une présentation en duo avec son compère Nicolas Bouvier au Cabinet d’arts graphiques en 1968, et l’ensemble de photographies couleurs réunies pour L’Autre mémoire en 1985 au Musée Rath, Jean Mohr. Une école buissonnière. Photographies à la Maison Tavel est la quatrième exposition de l’artiste genevois aux MAH et sans doute la plus personnelle. S’il a sillonné la planète pour le compte d’organisations humanitaires internationales et servi la cause des droits de l’homme en exposant ses clichés dans le monde entier, sa silhouette est également connue des visiteurs du MAH, où l’on a pu le croiser caméra au poing lors de vernissages, saisissant des visages célèbres et des moments clés de la vie du musée. Aujourd’hui âgé de 92 ans, Jean Mohr revient sur cette nouvelle exposition dont il a conçu le parcours en treize chapitres (Nous, les hommes; Être vieux, à quel âge?; Être paysan aujourd’hui; La femme omniprésente; Les parfums de la fête…), commentant chaque œuvre de ses réflexions et souvenirs.

Jean Mohr (né en 1925), Lanzarote, Espagne, 1973
© Jean Mohr, Musée de l’Élysée, Lausanne

Quels souvenirs gardez-vous de vos différentes expériences aux MAH?

Le Musée d’art et d’histoire était un endroit prestigieux pour moi. Je n’ai plus de souvenirs de l’exposition de 1961, mais je me rappelle celle faite avec mon très bon ami Nicolas Bouvier. Il était iconographe en plus d’être écrivain; alors il venait fouiller dans mes archives qu’il connaissait mieux que moi, pour trouver des photos pour illustrer des ouvrages divers. L’exposition que nous avons faite ensemble en 1968 au Cabinet des estampes [actuel Cabinet d’arts graphiques] s’appelait Donner à voir, et incluait des portraits que Nicolas avait réalisés au Japon et mes photographies de veine abstraite. L’Autre mémoire au Musée Rath en 1985 s’est faite d’un commun accord car j’avais de bons rapports avec les milieux artistiques et culturels de Genève, notamment avec le conservateur en chef Charles Goerg qui m’a introduit. Pour ce qui concerne mon travail en tant que photographe au MAH, je me souviens de la performance de Marina Abramovic et Ulay – tous nus, ils faisaient tenir entre leur dos un miroir en équilibre. Cette performance avait été organisée dans le cadre d’événements organisés en faveur de la création d’un musée d’art moderne et contemporain à Genève pour lequel nous militions, même si je n’étais pas du tout un fanatique d’art contemporain – il m’est même arrivé d’être choqué! Cette période d’art contemporain était très médiatisée mais pas forcément à la hauteur en termes de qualité.

L’exposition actuellement à la Maison Tavel couvre toutes les périodes de votre carrière. Comment avez-vous opéré votre sélection?

J’ai choisi ces photographies très librement et de façon presque arbitraire. J’ai cherché une manière valable de présenter celles qui ne trouvaient pas leur place dans d’autres expositions. L’astuce fut de montrer les photographies que l’on prend presque gratuitement et qui revêtent beaucoup d’importance à mes yeux. Car, dans une journée de travail, il y a la prise de vue de commande, pour l’OMS ou le CICR par exemple, et un champ des possibles tout autour. Lorsque les sujets sont très forts en eux-mêmes, je ne ressens pas ce besoin de m’échapper. Dans d’autres cas, quand il s’agit de prises de vue plus techniques, j’accomplis mon travail mais je reste disponible, à l’affût. Lors d’une opération à cœur ouvert par exemple, je dois me concentrer sur un sujet technique et médical mais je reste attentif à ce qui se passe en marge – les infirmières, les médecins… Si la sélection de la Maison Tavel mêle ces deux types de clichés, elle donne surtout la part belle à ces instants en dehors du reportage proprement dit. Lorsque je travaillais dans un hôpital pendant la journée, en faisant le bout de chemin le soir jusqu’à l’hôtel, le plus souvent de nuit, j’étais beaucoup plus libre d’agir et beaucoup de choses s’offraient à moi. Cette sélection révèle en définitive un univers plus personnel et poétique.

Jean Mohr (né en 1925), Région de Dacca, Bangladesh, 1972
© Jean Mohr, Musée de l’Élysée, Lausanne

Il vous est arrivé de travailler avec la couleur. Pourquoi cette sélection uniquement en noir et blanc?

Le sujet des reportages amenait au noir et blanc, car c’est plus sobre, plus direct. Je craignais un peu que la couleur n’enjolive l’image.

Les textes qui accompagnent les photographies vous sont-ils venus immédiatement?

En faisant le choix des photos avec mon épouse, je lui ai dicté les légendes qui me sont venues spontanément. Les thèmes choisis ne sont pas tous forcément très gais, mais ils nous concernent et nous préoccupent tous.

Vous livrez beaucoup de réflexion dans vos textes sur la nature humaine et le paradigme homme/femme. Vous sentez-vous anthropologue?

Je ne peux pas prétendre à l’anthropologie, mais cela n’empêche pas qu’avant «d’atterrir» dans la photographie, j’ai fait plusieurs slaloms: une maturité ès sciences commerciales, qui n’était pas à mon goût, et une licence ès sciences économiques et sociales, que je n’ai pas non plus faite de gaieté de cœur mais les circonstances de la vie m’y ont poussé. J’ai beaucoup batifolé à l’université où j’ai eu pas mal de responsabilités dans l’association générale Art et Culture à Genève. Mais mon œil était déjà grand ouvert. Pendant deux ans après ma licence, je me suis occupé des réfugiés en Palestine en tant que délégué pour le CICR. On peut dire que ce premier travail a conditionné le reste de mes recherches sur le plan social et humain.

Comment expliquez-vous ce fréquent décalage entre votre regard et l’interprétation que peuvent en faire vos mandataires auxquels il est arrivé de refuser des clichés?

Ce que recherche le mandataire est assez précis. Dans ce que je lui offre, une fois la prise de vue terminée et les travaux en chambre noire effectués, il y a parfois des abîmes. Le mandataire ne veut pas forcément quelque chose de positif mais, s’il m’a imposé un sujet précis c’est qu’il a de bonnes raisons. Il a sans doute vu mes autres travaux et espère obtenir ce qu’il a apprécié dans d’autres reportages. En général, je comprenais ce qui m’était demandé et j’ai toujours eu beaucoup de liberté. Je n’ai jamais eu à justifier mes choix. Le mandataire a un but à atteindre et dans la mesure du possible, j’essayais de concilier les deux. Mais quand je voyais que cela n’était guère possible, je faisais strictement ce qu’il m’était demandé et, parallèlement, je prenais des photos sur des sujets qui m’interpellaient beaucoup plus et me faisaient réagir de manière plus personnelle.

Jean Mohr (né en 1925), Jérusalem, 1979
© Jean Mohr, Musée de l’Élysée, Lausanne

Avez-vous le sentiment d’avoir capté un moment privilégié, pendant lequel la conscience de l’image ne faisait pas encore partie intégrante de la société?

Je crois que j’ai vécu un âge d’or et je ne m’en rendais pas compte sur le moment. C’est en parlant avec des confrères plus jeunes que j’ai pris conscience du privilège que j’ai eu de pouvoir traiter des sujets importants qui me touchaient et qui devaient toucher le spectateur. Je crois que j’en ai largement profité au cours de ma carrière. À l’époque où je travaillais pleinement pour les organisations internationales et pour des publications de tourisme et de voyage, j’ai pu le faire sans avoir honte d’une seule photo, même si bien sûr il y en a que je considère beaucoup moins bonnes que d’autres. J’ai eu beaucoup de chance de tomber dans une période où la photographie esthétique commençait à s’affirmer et la photographie humanitaire était pleinement reconnue par un large public.

Quel regard portez-vous sur la démocratisation ultime de la photographie, qui s’est opérée par le biais des smartphones?

Je vois cela d’un bon œil car c’est une façon de prendre possession du quotidien. Je pense que c’est tout à fait logique que l’on ait envie de pérenniser un bel œuf au plat dont on va se régaler. Il n’y a pas de limite entre une photographie faite par un professionnel et celle réalisée par un amateur.

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