Une méthode de gravure en couleurs
Gros plan sur la chromolithographie, une technique d’impression en couleurs apparue au tournant du XIXe siècle.
Dans l’exposition La fabrique de l’argent, présentée au MAH, plusieurs techniques de gravures sont abordées en lien avec la réalisation de billets de banque. Parmi elles, la lithographie, la première technique de gravure à plat (par opposition aux gravures en creux et en relief) à apparaître en Europe. Elle est inventée par Aloys Senefelder (1771-1834) vers 1796. Ce dernier obtient un privilège exclusif de 15 ans du roi de Bavière, et dépose un brevet en 1800 à Londres, avant de décrire sa technique dans L’art de la lithographie publié en français à Munich, en 1819.
Cette technique se fonde sur la répulsion réciproque de l’eau et des corps gras. L’artiste dessine à l’aide d’un crayon gras ou d’encre grasse, sur une pierre calcaire préalablement préparée, dont le grain naturel accroche le gras. Lavée avec une solution acide, pour fixer le dessin, la pierre est ensuite enduite d’une couche de gomme arabique, qui protège les surfaces laissées blanches. Puis elle est humectée et un rouleau chargé d’encre grasse passé sur toute la surface. L’eau refusant les graisses, l’encre ne se dépose qu’aux endroits dessinés. On place ensuite une feuille de papier sur la pierre et on la passe sous presse.

La chromolithographie ou l’impression en couleurs
Si Senefelder réalise des essais en couleurs dès 1810, les Français Charles-Philibert de Lasteyrie (1759-1849) et Godefroy Engelmann (1788-1839) exécutent des tirages en deux couleurs à Paris vers 1816. Engelmann fait breveter en 1837 son invention sous le nom de chromolithographie. Il utilise une pierre par couleurs et son invention repose notamment sur le système de la quadrichromie (une pierre par couleur primaire – cyan, magenta et jaune – et une pour le noir permettent d’obtenir les autres couleurs par superposition) inventé au XVIIIe siècle par un autre graveur, Jacob Christoph Le Blon (1667-1741). Mais le plus souvent, la chromolithographie utilise de nombreuses pierres, parfois une vingtaine, pour rendre toutes les couleurs souhaitées. Chaque pierre supporte la partie du dessin qui doit être encrée dans une couleur particulière. Cette technique nécessite la mise au point de presses lithographiques permettant un repérage précis pour imprimer successivement les différentes pierres sur la même feuille de papier.
Le plus souvent, une première pierre – pierre matrice ou de trait – porte les contours du dessin séparant nettement les couleurs. On exécute ensuite des décalques de ce dessin sur autant de pierre qu’il y a de couleurs nécessaires. Les décalques sont tous à la même taille et positionnés précisément afin que les couleurs puissent se juxtaposer exactement. Le dessinateur place souvent des points de repère sur les bords de la pierre afin de faciliter ce repérage.
«Il ne faut pas oublier que le nombre des planches croîtrait à l’infini, s’il était nécessaire d’exécuter un dessin sur pierre spéciale pour chaque nuance ou même chaque teinte à obtenir; le lithographe, avant de commencer le travail de la première pierre, doit se rendre compte du but à atteindre et examiner les moyens propres à y parvenir économiquement et rapidement: il déterminera les teintes types dont il fera usage par la suite pour obtenir en les combinant toutes les teintes qu’il laissera d’abord de côté. Il choisira tout d’abord les teintes fondamentales qui se présentent pures, dans l’original; la superposition de ces teintes met déjà un grand nombre de teintes intermédiaires à sa disposition. Il remarquera ensuite certaines teintes qui, par la nature de leur exécution, ne pourraient s’obtenir par impressions successives; ainsi sont les traits finement menés, les pointillés, etc.; une pierre spéciale sera consacrée à chacune d’elles. Enfin viendront les teintes qu’une série d’impressions superposées ne peut rendre fidèlement; pour terminer, il établira sa planche de gris ou de bistre qui donnera de la force et du relief à l’ensemble du tirage.» (Frédéric Hesse, Albert Mouillot, Georges Lequatre, La chromolithographie et la photochromolithographie, Paris, A. Muller, 1897, p. 60-61).
Une chromolithographie très spéciale
Le MAH possède grâce à Georges Hantz (1846-1920) ancien directeur du Musée des arts décoratifs très attaché au rôle pédagogique du musée et à la démonstration des techniques, un ensemble de tirages presque complet de toutes les étapes d’impression d’une chromolithographie très particulière. Celle-ci a nécessité onze pierres et au moins 20 passages sous presse, permettant d’illustrer les étapes décrites ci-dessus. Certaines d’entre elles sont présentées dans La Fabrique de l’argent.

Les trois premières planches font en outre appel à des couleurs en poudre, pour rendre l’aspect argenté et doré des pièces de monnaies reproduites, ce que l’encre d’impression ne permet pas. La première planche, où les deux couleurs sont bien séparées, a pu être imprimée en un seul tirage avec deux poudres de couleur différentes. L’opération d’impression d’une vingtaine de pierres est extrêmement délicate: une seule erreur de repérage, l’application d’une couleur d’une nuance trop pâle ou trop foncée, et tout est à refaire.
Différents usages de la lithographie en couleurs
La chromolithographie connaît un succès immense au XIXe siècle, notamment dans la publicité (affiches, catalogues, images commerciales…), l’illustration pour enfants, les reproductions d’œuvres d’art, les vues touristiques…. L’omniprésence de cette abondante production, que l’on retrouve partout, s’accompagne d’un certain mépris pour ces images, ces «chromos» aux couleurs parfois criardes.


Par opposition, l’utilisation de cette technique produit des chefs-d’œuvre chez des artistes comme Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Bonnard, Eugène Grasset ou Jules Chéret pour leur œuvres – affiches en particulier – qui s’inspirent, pour certains, de l’esthétique des gravures sur bois japonaises et de leurs tons mats.


La technique de la chromolithographie est également adaptée, par divers procédés, à l’impression directe sur métal (le fer-blanc particulièrement) ou à la réalisation de décalcomanies, qui peuvent ensuite être appliqués sur toute surface, notamment la céramique. C’est ainsi que de nombreux objets décorés font leur apparition, mais c’est une autre histoire…
