Diversité et sophistication des coiffures romaines d’époque impériale
Les textes antiques rappellent l’importance que revêt, pour une femme romaine, le fait d’être soigneusement vêtue, parée et coiffée. La collection de portraits romains du Musée d’art et d’histoire témoigne du soin apporté à la réalisation de certaines coiffures féminines mais aussi de la complexité de certaines mises en plis.
Se garder d’avoir le cheveu «hors la loi»
Avoir le cheveu «hors la loi» (sine lege), c’est laisser ses cheveux tomber naturellement sur les épaules alors que l’on va dans le monde. Voilà une attitude à proscrire, car elle est synonyme d’extrême négligence. Ce sont les Bacchantes ou les barbares qui les portent ainsi!
Si les petites filles peuvent se permettre de garder les cheveux au vent, pour les femmes, une chevelure tombante n’est admissible que dans un contexte privé, de séduction ou au moment du réveil:
«Et d’abord que l’eau pure chasse le sommeil, que ton doigt avec art arrange tes cheveux, tes beaux cheveux luisants. Prends ensuite cette robe qui séduisit Properce et mets-la; n’oublie pas les fleurs sur la tête et demande aux dieux de te conserver à jamais ton pouvoir, ta beauté et que ton empire sur moi dure toujours.» (Properce, Elégies, III, 10.13-16)

Mille manières de se faire coiffer…
«Que votre coiffure ne soit jamais négligée; sa grâce dépend du plus ou moins d’adresse des mains qui président à ce soin. II est mille manières de la disposer: que chacune choisisse celle qui lui convient le mieux: elle doit avant tout consulter son miroir», conseille le poète Ovide dans son traité L’Art d’aimer (III, 133-136). Il faut tenir compte de la forme du visage pour choisir sa coiffure précise-t-il.

Le savoir-faire de l’ornatrix
La sophistication des coiffures témoigne de l’élégance, de la richesse et du rang de celle qui, oisive, peut passer des heures devant son miroir à se faire pomponner. Les coiffures élaborées nécessitent pour leur mise en œuvre l’assistance d’au moins une esclave ou affranchie spécialisée appelée ornatrix. Munie de peignes, d’épingles et de fers à friser (calamister), celle-ci divise les mèches, frise, tresse et fixe les boucles…

Les épingles employées pour maintenir les mèches et chignons peuvent être en matériaux divers: os, ivoire, bronze voire en métaux précieux…. Ces objets du quotidien que l’on retrouve dans les sépultures, n’apparaissent qu’exceptionnellement dans les portraits sculptés.

La réalisation de certaines coiffures pouvait s’avérer particulièrement complexe. Des textes antiques rapportent d’ailleurs en particulier la difficulté de réalisation de certaines coiffures d’exécuter de réussir celles tout en hauteur. Elles pouvaient être si élevées qu’elles faisaient paraître plus grandes celles qui la portaient. Sarcastique, le poète Juvénal n’hésite pas à les comparer à des immeubles à étages! (Satires, VI, 502-504). Gare aux coups d’épingle rageurs si, par malheur, le travail de l’ornatrix n’était pas conforme aux espérances de sa maîtresse!
Des mèches tuyautées agencées en diadème
C’est à l’époque flavienne (69-96 apr. J.-C.) qu’apparaissent les coiffures élaborées dites «en nid d’abeille». Elles sont constituées d’une superposition de mèches bouclées encadrant le visage. Les cheveux de cette femme sont divisés, à l’arrière, en petites tresses plates qui se rejoignent pour former un chignon placé sur le haut de la nuque malheureusement perdu ici (fig.5).

Cette mode, qui a sans doute été lancée par Julia, fille de l’empereur Titus, a connu un large succès. Les nombreux portraits de femmes anonymes qui la suivirent en témoignent, tout comme des objets du quotidien: il n’est pas rare que des épingles à cheveux se terminent par un buste de femme couronné précisément d’une haute coiffure bouclée.


Les portraits réalisés dans les provinces de l’empire, tout comme les épingles ornées qui y ont été retrouvées, montrent que la mode capillaire de la capitale se diffusait jusque dans les territoires conquis.
La complexité des chignons

Les mèches encadrant le visage de cette jeune fille forment de larges ondulations qui ont été réalisées au fer à friser (fig. 8). Deux accroche-cœurs apparaissent au niveau des tempes. Le reste de la chevelure, tirée en arrière, est divisée en cinq groupes de petites tresses qui s’entremêlent savamment pour constituer un chignon particulièrement élaboré. Une petite tresse délimite la partie supérieure du chignon. Cette coiffure mêle des traditions qui se rapportent à des époques différentes: les bandeaux ondulés sont à la mode sous les Julio-claudiens (27-68 apr. J.-C.) alors que le chignon composé de tresses est typique des impératrices de l’époque flavienne (69-96 apr. J.-C.).
La verticalité des coiffures d’époque trajane
Si elles renoncent aux abondantes boucles de la période précédente, les impératrices de la dynastie trajane (98-117 apr. J.-C.) conservent en revanche un agencement de mèches tout en volume sur le devant de la tête (fig. 9). Le portrait de Plotine, l’épouse bien aimée de Trajan, en témoigne. Il présente un postiche de mèches ondulées en forme d’éventail, haut et volumineux, qui est assemblé en un nœud au sommet du front. La partie arrière de la chevelure est formée de tresses qui se réunissaient probablement en une queue de cheval souple, aujourd’hui manquante. Deux boucles «anglaises» descendent devant les oreilles. Une bande de cuir, placée en haut du front et recouverte de cheveux, masque le mode de fixation du postiche.

Une contemporaine de l’impératrice Plotine porte elle aussi une coiffure haute: sa frange, montée en pointe, forme comme un diadème sur son front. À l’arrière, de nombreuses petites tresses sont savamment enroulées en turban formant un chignon large et souple placé sur l’occiput.

Perruques et postiches
La réalisation de coiffures complexes comme celle de Plotine, nécessitait le recours à des postiches. À l’époque romaine, il était commun d’acheter des cheveux. Ovide s’en fait d’ailleurs l’écho: «La femme se montre à nos yeux parée de l’épaisse chevelure qu’elle vient d’acheter, et, pour un peu d’argent, les cheveux d’autrui deviennent les siens. Elle ne rougit pas même d’en faire publiquement l’emplette, à la face d’Hercule et des neuf Sœurs» (Ovide, L’Art d’aimer, III, 163-168).
Les cheveux blonds qu’achètent les Romaines proviennent de Germanie, comme en témoigne Martial (Épigrammes, V, 68): «Lesbie, je t’envoie une chevelure des pays du Nord, pour que tu saches combien la tienne est plus blonde encore». Les cheveux noirs sont quant à eux importés d’Inde (Digeste XXXIX, 4, 16, 7).
Les perruques sont encore très à la mode au IIIe siècle. Dans La Toilette des femmes (VII, 1-2), l’auteur chrétien Tertullien fait référence aux femmes qui portent alors d’énormes masses de cheveux postiches et des chignons aux dimensions disproportionnées, qui nécessitent doigté et savoir-faire. Ovide, moqueur, raconte comment une jeune fille inexpérimentée, prise de court par sa visite impromptue, s’est ridiculisée: «Un jour, on annonce à une belle mon arrivée subite: dans son trouble, elle met à l’envers sa chevelure postiche. Puisse un si honteux affront n’arriver qu’à nos ennemis!» (L’Art d’aimer, III, 245-248).
Et ces cheveux postiches peuvent même devenir indispensables, compte tenu des dégâts occasionnés par une utilisation malhabile ou répétée du fer à friser: «(…) Quoique ses cheveux fussent aussi flexibles que le duvet, combien de fois, hélas! ils furent mis à ta torture pour devenir des tresses arrondies et serrées ! Que de fois n’ont-ils pas enduré patiemment et le fer et le feu! Je m’écriais: « C’est un crime ! Oui, un crime de brûler de tels cheveux! Ils s’arrangent d’eux-mêmes avec grâce; consens à épargner ta tête; loin de toi cet art cruel! Tes cheveux ne méritent point d’être ainsi brûlés: ils montrent d’eux-mêmes sa place à l’aiguille qui s’approche. » (…) Maintenant la Germanie t’enverra les cheveux de ses esclaves; au tribut d’une nation vaincue tu emprunteras ta parure. (…)» (Ovide, Amours, I. 14)
Retour à la simplicité

Sous le règne de Marc-Aurèle (161-180), les coiffures féminines deviennent moins apprêtées que précédemment comme l’illustre cette tête de femme, coiffée à la manière de Faustine la Jeune, épouse de l’empereur Marc-Aurèle (fig. 11). Son importante chevelure est divisée par une raie médiane, des mèches souples formant deux bandeaux encadrent le visage et quatre accroche-cœurs s’en échappent au niveau du front. Le reste est tiré en arrière et forme un gros chignon allongé en une vaste natte souplement tressée.

La coiffure de cette femme (fig. 12) ressemble quant à elle à celle de l’impératrice Julia Domna, seconde épouse de Septime Sévère (193-211 apr. J.-C.). Son abondante chevelure, séparée en deux par une raie médiane, forme des mèches ondulées qui s’assemblent en un chignon large et souple. L’étude de la série de portraits de Julia Domna donne à penser que sa masse de cheveux, coiffée un peu à la manière de Faustine la Jeune, est artificielle. Des portraits montrent en effet une démarcation nette au niveau du front qui pourrait être interprétée comme le bord d’une perruque. Julia Domna, née à Emèse (actuellement Homs en Syrie), était familière des lourdes perruques et postiches dont le port était commun en Orient. Le choix de porter une perruque de type oriental mais coiffée à la romaine montre son souci d’affirmer sa filiation avec la dynastie régnante précédente.
Les soins capillaires
Cette attention portée à l’apparence n’était pas le seul apanage des femmes : les Romains des deux sexes se teignaient les cheveux en blond, roux ou noir. Ils employaient des préparations à base de minéraux, de végétaux (millepertuis, écorces vertes de noix etc…) ou d’animaux (par exemple une mixture de sangsues écrasées macérées dans du vin). Voici une recette de teinture noire transmise par le médecin Galien (De Compositione medicorum secundum locus, K XII 443-444): «J’ai dit un peu auparavant qu’à mon avis un médecin ne saurait se mêler de telles choses, mais les dames du palais l’exigent parfois; il n’est pas possible de leur dire non quand elles veulent se noircir ou se blondir les cheveux. […] Sinon, ajoute de la terre de Sélinonte, de la litharge et de la chaux vive mélangée avec de l’eau jusqu’à la consistance du miel avec de la chaux liquide et enduis de nouveau la chevelure de haut en bas.» Cette pâte, à base d’argile, de chaux et de litharge (un oxyde de plomb), a récemment été testée par un laboratoire d’archéométrie qui l’a appliquée sur des cheveux humains. Le mélange a en effet donné des résultats probants variant en fonction du temps d’application et du pourcentage des ingrédients
Enfin, la perte des cheveux était aussi une préoccupation dans l’Antiquité et les recettes pour les renforcer ne manquaient pas. En voici une transmise par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle (XXVIII, XLVI, 2). Pas étonnant qu’elle n’ait plus cours!: «On estime que la cendre de pénis d’âne, broyée avec du plomb et de l’huile et appliquées sur la tête rasée, épaissit la chevelure et l’empêche de blanchir; celle de l’ânon mélangée avec son urine rend aussi les cheveux plus épais. On y ajoute du nard pour rendre cette préparation moins dégoûtante»…
Merci pour cet intéressant article qui souligne l’importance de la coiffure qui n’est pas seulement une affaire de femme. La coiffure homme et la coupe de cheveux enfant sont tout aussi importants.
Magnifique article. garder partager votre écriture!