Dépôt exceptionnel d’un portrait signé Berthe Morisot

Le Portrait de Jeanne Pontillon dans les collections du MAH

Le Musée d’art et d’histoire a le privilège de s’être vu confier par la Société des Amis du MAH (SAMAH) le Portrait de Jeanne Pontillon par Berthe Morisot (1841–1895). Donné à l’association par l’un de ses fidèles membres, ce tableau représente un enrichissement de taille pour l’institution genevoise.

Le Portrait de Jeanne Pontillon dans les collections du MAH

Le Musée d’art et d’histoire a le privilège de s’être vu confier par la Société des Amis du MAH (SAMAH) le Portrait de Jeanne Pontillon par Berthe Morisot (1841–1895). Donné à l’association par l’un de ses fidèles membres, ce tableau représente un enrichissement de taille pour l’institution genevoise.

Rares sont les dons, legs ou dépôts qui s’inscrivent aussi parfaitement dans les collections de peintures d’un musée. Le Portrait de Jeanne Pontillon complète en effet à plus d’un titre le corpus conservé par le MAH.

Le fonds de tableaux impressionnistes signés Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley ou encore Camille Pissarro, vient tout d’abord accueillir une peinture de la plus importante des représentantes féminines de ce courant artistique français. Berthe Morisot renforce par ailleurs les rangs des femmes peintres représentées au MAH, au nom desquels figurent notamment Élisabeth Vigée Le Brun, Anne Vallayer-Coster, Amélie Munier-Romilly, Louise Breslau, Martha Stettler et Alice Bailly. Enfin, spécificité du musée depuis son origine, le riche ensemble de portraits du MAH se dote d’un nouveau
visage de femme, qui vient se joindre à Sabina Poppæa (actuellement en prêt au Musée national suisse à Zurich), Madame d’Épinay de Jean-Étienne Liotard, Lady Diana Milner de George Romney, L’Été d’Auguste Renoir ou encore La plus jolie femme de Paris de James Tissot.

Berthe Morisot, la peintre

Berthe Morisot est, avec l’Américaine Mary Cassatt, l’une des rares femmes peintres à avoir su trouver sa place dans le monde de l’art parisien à la fin du XIXe siècle. D’un tempérament volontaire, elle s’affranchit des conventions bourgeoises en choisissant de se consacrer à la peinture plutôt que de suivre le chemin tout tracé du mariage et de la maternité réservé aux jeunes femmes de son rang. L’École des beaux-arts n’acceptant pas les femmes comme élèves, ses parents lui donnent accès à un enseignement académique privé. Mais celui-ci ne lui convient pas. Encouragée par d’autres artistes comme Jean-Baptiste Camille Corot, elle opte pour une peinture plus lumineuse et vivante.
Comme en témoigne le Portrait de Jeanne Pontillon, elle prend le plus souvent les membres de sa famille pour modèles (sa sœur, ses nièces et neveux, et plus tard sa fille Julie Manet), réalisant portraits et scènes intimistes d’une grande fraîcheur. Figure insoumise du milieu de l’avant-garde, elle fait l’admiration de ses pairs, et en particulier d’Édouard Manet avec lequel il lui arrive de collaborer et qui réalise plusieurs portraits d’elle.

Berthe Morisot Portrait de Jeanne Pontillon, 1894 Huile sur toile, 116,7 x 81,5 cm Dépôt de la SAMAH suite au don de l’un de ses membres Inv. BA 2016-12-dt © MAH, photo : B. Jacot-Descombes
Berthe Morisot, Portrait de Jeanne Pontillon, 1894
Huile sur toile, 116,7 x 81,5 cm
Dépôt de la SAMAH à la suite du don de l’un de ses membres
Inv. BA 2016-12-dt © MAH, photo : B. Jacot-Descombes

Alors que l’époque voit encore d’un oeil méfiant les femmes artistes, elle devient la cofondatrice avec Monet, Sisley, Pissarro et Degas de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, groupe organisant des expositions indépendantes entre 1874 et 1886 en contrepoint de l’obséquieux Salon, lieu officiel d’expositions d’art contemporain. Malgré de nombreux soutiens, Berthe Morisot dérange une grande partie de la critique à cause de son art toujours plus recherché et audacieux, mais surtout par le simple fait qu’elle est une femme. L’État finira par acquérir l’une de ses toiles en 1894, Jeune femme en toilette de bal (Musée d’Orsay, Paris), un an avant la mort de l’artiste
emportée brusquement par la maladie à l’âge de 54 ans. Longtemps considérée comme la
représentante féminine, et donc négligeable, des impressionnistes célébrés dans le monde entier, son oeuvre n’a été réhabilité que dans le dernier quart du XXe siècle.

Jeanne Pontillon, son modèle

Fille aînée d’Edma Pontillon née Morisot, la sœur aînée de Berthe, Jeanne Pontillon (1870-1921) est ici âgée de 24 ans. Elle a déjà figuré enfant dans plusieurs tableaux de sa tante, tels Cache-cache (1873, collection privée), Chasse aux papillons (1874, Musée d’Orsay, Paris) et Dans le parc (1874, Petit Palais, Musée des beaux-arts de la Ville de Paris).

Berthe Morisot saisit sa nièce dans une pose détendue et son regard, pourtant intense, semble perdu dans une rêverie. Le génie de la peintre repose notamment sur son habileté à manier le pinceau, livrant une touche aussi légère que puissante. Cette économie de moyens se retrouve dans le traitement de la lumière et le jeu subtil de camaïeux de brun-vert, de rose et d’orange. Si l’ensemble paraît exécuté avec célérité, voire à peine esquissé, comme la main gauche, le visage est délicatement fini. Du format généreux de la toile à l’attitude très naturelle du modèle, tout ici converge à confronter le spectateur à la présence très physique d’une jeune femme dont les pensées pourtant lui échappent.

Une affaire de famille

Ce tableau a été peint rue Weber à Paris, dans la chambre à coucher de l’artiste. À l’arrière-plan, on retrouve le souvenir ébauché d’une photographie de 1880 sur laquelle figurent Berthe, son époux Eugène Manet et leur fille Julie. Publié dans le catalogue raisonné (1997), ce cliché a été pris à Bougival, petite commune en bord de Seine à une vingtaine de kilomètres de Paris, prisée par les peintres impressionnistes (Monet, Renoir, Sisley…) et où la famille possédait une maison de campagne.

Présenté dans le monde entier à l’occasion d’une quinzaine d’expositions, ce portrait est longtemps resté dans la famille de la peintre. Il a d’abord appartenu à son modèle, Jeanne, avant d’être transmis à sa sœur Blanche Pontillon (1871-1941), puis au fils de cette dernière, Michel Forget (1911-1950).

Il en existe plusieurs études préparatoires : une sanguine (coll. privée), un pastel (coll. privée) et une aquarelle sur crayon (Art Institute de Chicago). Il s’agit du premier tableau de Berthe Morisot à entrer dans les collections du MAH, auquel avait été légué, en 1998, un paysage provençal au pastel aujourd’hui conservé dans le fonds du Cabinet d’arts graphiques.

Le Portrait de Jeanne Pontillon est exposé dans la salle 12, à l’étage des beaux-arts du Musée d’art et d’histoire, en face de L’Été d’Auguste Renoir.

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